Wolves don't lose sleep over the opinions of sheep (Kieran&Lizzie)

Wolves don't lose sleep over the opinions of sheep

Kieran & Elizabeth

Dès le premier septembre, Kieran avait compris qu’il n’était pas le seul loup du coin, quand ils avaient été rassemblés pour l’officiel discours de bienvenue. L’odeur lupine avait tourné autour de lui, mais avec tout ce monde, impossible de savoir de qui il s’agissait. D’autant que l’aura de l’autre loup était faible, très faible, comme s’il avait peur de la réaction des autres autour de lui. Alors il n’avait pas cherché à savoir, parce que de toute façon, il savait qu’un jour où l’autre, ils se retrouveraient forcément. Deux loups ne peuvent qu’être attirés l’un par l’autre pour rester entre semblables, donc ça prendrait le temps que ça prendrait, mais au bout d’un moment, ils se croiseraient.

Dès le lendemain, le lycanthrope avait pu avoir un aperçu dudit loup - ou, en l’occurrence, de la louve. Petite, fine, menue, discrète. En extérieur, elle n’avait absolument rien d’une louve. En intérieur, il n’avait eu aucun mal à voir l’animal dans son regard trop perçant et dans ses gestes trop vifs. Il n’avait rien dit, cependant. Il était resté assis avec Isaak, continuant sa discussion avec le jeune voyant sans lever les yeux ; mais l’aura du loup s’était à peine étendue quand la fille était passée près d’eux, comme pour lui signaler qu’elle n’était pas la seule louve du campus. Il l’avait sentie tressaillir dans son dos, chercher la source de l’aura animale - mais trop tard. Le loup était parti, et Kieran n’avait pas modifié son ton de voix d’un octave en discutant avec Isaak, qui ne s’était pas rendu compte de son manège.

Il avait très envie de la rencontrer, maintenant, cette fille. Impossible de se renseigner sur elle sans éveiller les soupçons ; au lieu de ça, il avait décidé de la laisser venir vers lui. Il l’avait appâtée en lui faisant comprendre qu’elle n’était pas seule, maintenant la louve devait sans doute le chercher. D’autant qu’elle, elle n’assumait clairement pas son état de fait, et ça se voyait. La louve ne devait être pour elle qu’un monstre parasite qui pourrissait ses nuits de pleine lune. Quelle tristesse, mon frère. Heureusement qu’il avait passé ce stade, et qu’il n’avait pas eu à le passer seul.  Il était le loup, et le loup était lui, tout simplement. Deux âmes qui s’accordent en une pour vivre en harmonie, apprenant à composer l’une avec l’autre et à faire des concessions pour rester en équilibre parfait, comme il se devait.

Ce soir-là, il avait décidé de prendre l’air. Il faisait trop chaud dans l’immense salle commune, et il y avait trop de bruit. Il avait laissé Isaak là-bas, ce dernier n’étant pas motivé à sortir dans le froid nocturne, et était sorti pour rechercher la fraîcheur, mais surtout le silence. Sans vraiment réfléchir, il s’était allumé une cigarette et avait commencé à marcher, terminant aux alentours du lac. La lune, pas encore pleine, éclairait doucement ce dernier, laissant entrapercevoir la vie sous les flots. Ça ne donnait pas trop envie de s’y baigner. Il s’assit à bonne distance, se contentant de profiter du bruit du vent dans les feuilles et de l’odeur de terre humide, âcre mais persistante. Jusqu’à ce qu’une nouvelle odeur trouble le tout. Un parfum féminin, léger et agréable - une odeur animale, enfouie et contenue. Oho, la louve nous a trouvés, mon frère.

« Il t’a fallu du temps pour me trouver, commença-t-il avec une pointe d’amusement. Je ne pensais pas être le plus discret du coin, pourtant. »

Appuyant une main au sol, il se tourna à peine pour regarder la jeune louve, et lui sourire pour l’inviter à le rejoindre. Elle devait avoir mille et une questions à lui poser, ça se voyait dans ses yeux. Qu’est-ce qui la faisait hésiter, alors ? C’était peut-être la première fois qu’elle rencontrait l’un de ses semblables. Elle n’était peut-être qu’une très jeune louve, quand lui avait été mordu à cinq ans et avait rejoint un réseau de loups solitaires californiens à douze ans pour trouver des réponses à ses questions.

« Je m’appelle Kieran, se présenta-t-il enfin. Tu peux venir, hein. C’est pas comme si j’allais te mordre. »

Humour de loup. Mais il avait raison.
Les loups ne se mangent pas entre eux, après tout.

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Wolves don't lose sleep over the opinions of sheep

Kieran & Elizabeth

La jeune fille est nerveuse, ça se voit clairement. Il n’a pas besoin de son odeur, que le vent charrie vers lui, pour s’en apercevoir. Elle se dandine sur place, passant d’un pied sur l’autre dans un geste qu’elle pense être discret, et se mordille la lèvre, sans doute sans y penser. Elle n’était pas certaine de vouloir s’approcher trop près, qu’elle dit, et l’américain comprend parfaitement. C’est sans doute la première fois qu’elle rencontre l’un de ses semblables. Lui aussi, la première fois qu’il était entré seul dans un bar plein de loups solitaires, il n’en menait pas vraiment large. Heureusement les loups d’en face avaient l’habitude d’avoir des louveteaux dans les pattes, et il avait été plutôt bien accueilli. Alors il fait comme ont fait les loups, le jour de sa première fois : il essaie de la mettre à l’aise. Je ne vais pas te mordre. Enfin, elle se déride un peu, et sourit, avant de rire et de lui répondre qu’un loup qui mord, ce serait surprenant. Il rit avec elle, la laissant se mettre à l’aise sans trop la brusquer.

Enfin, elle lui offre son nom. Elizabeth. Il archive l’information dans un coin de son esprit, laissant la jeune fille le regarder à la dérobée tandis qu’il termine le peu de cigarette qu’il lui reste, veillant à ne pas lui souffler la fumée dessus. C’est officiel, il est le premier loup qu’elle rencontre. Elle devait s’attendre à ce qu’ils aient tous peur, et honte, et terrifiés à l’idée que leur petit secret se dévoile. Jusqu’à ce qu’elle nous croise. Il était arrivé le premier jour en disant très clairement être un loup au moment du choix des chambres, pour faire fuir tous les imbéciles à l’esprit trop fermé. L’information s’était répandue chez les étudiants, et le jeune loup, assumé, avait gardé la tête haute, rendant l’humiliation beaucoup plus difficile que s’il avait tenté de minimiser ça. Comment faisait-il, lui demandait-elle, pour rester aussi désinvolte face à la situation ? Il ne devait pas être normal. Un léger rire rauque lui échappe tandis qu’il fait disparaître son mégot d’un coup de baguette.

« Tout dépend de ce que tu définis comme normal. C’est un concept très subjectif. Un couple du même sexe peut être une aberration pour une personne, parce que sa vision de la normalité c’est un homme et une femme ; mais ça peut être banal pour quelqu’un d’autre, parce que ce n’est rien d’autre que de l’amour, et l’amour ne se soucie pas du genre. »

Oula, il commençait déjà à parler comme un nerd. Il allait falloir qu’il se calme un peu avant de faire fuir sa jeune semblable. D’autant qu’il ne connaissait rien d’elle, sinon son prénom, et le fait qu’elle n’assumait pas son côté loup. C’était peut-être la norme, là où elle vivait. En Amérique, les solitaires de son réseau lui avaient répété que s’assumer, c’est extrêmement dur, mais ça rend la vie plus facile. Difficile d’utiliser sa lycanthropie comme un chantage puisqu’il ne le cachait pas. Tous les patrons pour qui il avait bossé savaient dès l’entretien d’embauche qu’ils avaient un loup en face d’eux, ce qui évitait les drames inutiles, car beaucoup de contrats étaient rompus après que le patron ait découvert que son employé lui avait menti sur sa condition.

« Je suis désinvolte parce que j’ai toujours été comme ça, répond-il finalement en haussant les épaules. S’assumer, c’est difficile, mais ça facilite la vie. Comme je ne le cache pas, impossible de l’utiliser contre moi pour me faire chanter ou obtenir quelque chose de moi. Les gens savent que ça ne marchera jamais, puisque j’assume. »

Le silence retombe doucement entre eux ; Elizabeth a de quoi réfléchir, alors qu’il ne s’agissait que de sa première question. La première d’une très longue liste, il le sent. Elle le trouve anormal, à s’assumer de la sorte, et il la trouve étrange, à tenter d’agir comme une sorcière alors qu’elle est beaucoup plus que ça. Lui aussi a envie de lui poser des questions. Est-ce qu’elle entend la voix de la louve, comme lui-même entend la voix du loup ? Ou est-ce qu’elle réprime tellement ses instincts que la part animale de son être est écrasée sous le poids de sa honte ? Ses pleines lunes devaient être difficiles, et douloureuses. Et solitaires, si elle vit vraiment comme ça. La pauvre. Rester seule, tout le temps ? Repousser les gens pour qu’ils n’apprennent jamais la vérité ? Il ne pourrait pas vivre comme ça. Sans les murmures de l’animal dans son esprit, sans Isaak et sa douceur, sans la petite meute qu’il avait pu se constituer.

« Tu dois probablement beaucoup te détester, reprend-il doucement, mais tu sais, même si tu essaies de le cacher, tu restes une louve. Tu peux étouffer l’animal aussi fort que tu veux, il ressortira toujours pendant la pleine lune ; et après avoir passé un mois sans pouvoir s’exprimer, il te le fera chèrement payer. Et au fil du temps, il se battra pour avoir droit à un peu plus de place dans ton esprit - dans son esprit. Tendant la main, il se saisit de la lanière de son sac pour le tirer vers lui, et en sortir une petite boîte. Tu es le loup, et le loup est toi. Réprimer le loup ne le fera pas disparaître, alors autant apprendre à vivre avec lui. Etre attentif à ses envies, ses besoins et ses désirs, parce que ce ne sont pas seulement les siens, mais aussi les tiens. Démonstration par l’exemple. »

Il ouvrit la petite boîte, qui contenait de la viande crue - et qui fit immédiatement saliver le loup. Manger de la viande crue ne dérangeait plus Kieran depuis très longtemps. Le loup étant un animal, il ne faisait pas cuire sa viande, alors que l’humain, si. Alors ils équilibraient. Aux repas, il mangeait de la viande cuite pour ne pas dégoûter les autres, et quand le loup avait des fringales, il tapait dans la viande crue, ou dans la viande séchée quand il n’avait pas sa boîte à portée. Avant de se servir cependant, il pencha la petite boîte vers la jeune fille, et esquissa un léger sourire.

« J’imagine que tu n’as jamais essayé ? Ça peut paraître dégoûtant au début. Mais tu es une louve, avec des besoins de louve. L’animal dans ta tête ne se satisfait ni de légumes, ni de viande cuite, et si tu lui donnes ce qu'il veut, il sera bien mieux disposé à ne pas faire de ta vie un enfer pour réussir à se faire entendre. Son sourire se fit plus franc, plus confiant, pour et pour qu’elle n’ait pas l’impression qu’il essayait de se payer sa tête, il attrapa un bout de viande pour lui-même, le mettant en bouche sans hésitation. Tu peux me faire confiance, Elizabeth ; j’ai vingt ans d’expérience en lycanthropie. »

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